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AbuZe, graffeur à Tahiti - Hommes de Polynésie

Romain Picardi, alias AbuZe : portrait en 3D d’un artiste graffeur

Publié le 11 septembre 2017

Hommes de Polynésie a rejoint Romain, alias AbuZe, dans son collectif d’artistes au fond de la vallée de Tipaerui, Hamani Lab1.

AbuZe, c’est un nom qui monte, et son histoire, c’est aussi celle du graffiti à Tahiti et de sa place aujourd’hui dans le monde de l’art. Après une première commande pour le Morrison en 2009 qui l’a amené à projeter son empreinte et son nom sur les murs, son destin de graffeur a pris un tournant avec un prix en 2014 au festival d’Ono’u qui rassemble des artistes venant des quatre coins du globe.

Graffiti Tahiti Hommes de Polynésie © Photos : AbuZe
© Photos : AbuZe

L'histoire d'Abuze

Lorsqu’ AbuZe nous reçoit, il nous demande si ça ne nous ennuie pas qu’il continue à peindre pendant l’interview. Au contraire ! Anecdote plutôt drôle, il peint sur la planche d’un policier  estampillée « AbuZe » avec laquelle l’agent surfera aux championnats de France de la police ! Le graff n’est plus forcément un art contestataire et hors-la-loi : aujourd’hui tout le monde, même les forces de l’ordre, commande des œuvres aux graffeurs.

© Photos : AbuZe

Quand on lui demande comment il en est venu au graff, il répond qu’il a toujours aimé dessiner, et « le graffiti, c’est une autre manière de dessiner ».

Romain est arrivé en Polynésie française vers 7-8 ans et a grandi à Moorea. Il a eu son premier rendez-vous sérieux avec le graff à l’âge de seize ans, alors qu’il était venu rejoindre sa mère à Paris. C’était d’abord pour lui une manière de revendiquer une certaine rébellion. Au départ, il s’exerçait sur des bords de voies : « the old school way »2

 

« Quand il a fallu revenir ici à Tahiti, j’ai dû trouver d’autres motivations, après je me suis pris au jeu, et cela est devenu un véritable moyen d’expression. »

 

Après ses études, c’est sa compagne qui l’a poussé à prendre une patente de graphiste. C’est là qu’il s’inscrit au festival d’Ono’u, avec 20 graffeurs en compétitions, dont 5 artistes de Polynésie.

Quant à son blaze ? « AbuZe », ça vient de son père, qui lui disait souvent : « Tu abuses ! »… Clin d’œil à la génération d’avant. Quant à la génération qui vient, elle est entourée par les graffitis, son tout jeune fils pourra reprendre le pinceau ou la bombe…

Un art de la spontanéité, mais surtout des rencontres décisives

AbuZe collabore avec bon nombre d’artistes et amis du Fenua comme Hell Ton John, JOPS Tahiti, etc. sur des projets et œuvres communs. « C’est un peu au feeling », c’est d’abord une question de rencontre entre artistes.

 

« La première commande, c’était pour l’Otac (Te Fare Tahiti Nui), mais c’est plutôt l’occasion qui fait le truc. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point c’étaient les collaborations qui te faisaient avancer et t’ouvraient l’esprit ».

 

Les liens se tissent afin de « tresser » une œuvre.

© Photos : AbuZe

Le style d'Abuze : la diversité

Lorsque on lui pose la question du style qui définirait son travail, le jeune artiste fait tout de suite comprendre qu’il ne tient pas à être rangé dans des cases. Ses différents graffitis, toiles et autres, montrent en effet sa capacité à passer d’une esthétique à une autre :

 

« Je n’ai pas trop de marque de fabrique… ».

 

Si on entre dans le vocabulaire du graffiti, il passe par tous les genres, ça va du bubble au wild style3 (lettres arrondies et formes pleines) au pinceau, en passant du réalisme à l’abstrait, du 2D au 3D, du cartoon à l’aiguisé… Du graff, il passe au graphisme, et l’inverse. Si les techniques sont variées, les ambiances varient tout autant, de son « côté dark », crânes, en noir et blanc, aux côtés plus colorés, cela dépend des scènes et des commandes. D’une réinterprétation de la naissance de Tahiti aux héros de comics, des animaux endémiques de Tahiti à un visage de femme très réaliste, il n’y a pas de sujet qu’il n’ait exploité…

Graffiti de AbuZe Hommes de Polynésie AbuZe graffeur Tahiti Hommes de Polynésie Graffeur à Tahiti Hommes de Polynésie © Photos : AbuZe
© Photos : AbuZe

À la question de savoir s’il utilise beaucoup de « canevas polynésiens », il répond :

 

« Oui, j’en utilise forcément, mais je ne fais pas du polynésien pour faire du polynésien, je vais utiliser des motifs… J’ai plus un goût pour le graphisme, l’esthétique, j’essaye d’adapter à ma façon… ».

 

Quant aux influences artistiques, il affirme :

 

« Moi, ça va être plus des personnages, c’est pour ça que c’était intéressant de travailler sur du Gauguin ou du Boulaire, et c’était une façon de voir à ce moment-là qui était au final intemporelle. Ce regard sur les Polynésiens en fait, ça ne bouge pas, alors que les modes, ça passe. »

 

Quant aux influences actuelles, c’est en étant connecté aux différents réseaux que les artistes apprennent et s’enrichissent des références des uns et des autres :

 

« Il y a tout le temps et énormément d’influences entre les artistes actuels et c’est d’ailleurs pour ça qu’on est sur Instagram. »

La clientèle : les nouveaux mécènes d'aujourd'hui

Si le graffiti se sérialise et devient aujourd’hui un art que les entrepreneurs s’arrachent, il n’en reste pas moins un art qui reste libre, sans contrainte, et c’est cette liberté que veut conserver AbuZe. Le festival Ono’u a ouvert les esprits,

 

« ça a ouvert des opportunités, ça a ouvert des barrières, et quelque part, ça a une valeur maintenant ».

 

Les graffitis sortent de la rue et s’invitent dans les immeubles, les bureaux d’entreprises, les hôtels, les jardins et les intérieurs des maisons. Les entrepreneurs et les agences de com ont un budget et laissent carte blanche aux artistes. Ce qui compte, c’est « que la routine ne s’installe pas ».

 

Les différentes commandes permettent à l’artiste « d’aller là où on ne serait pas allé seul ». Il réalise donc un devis au mètre carré et voit avec ses clients ce qu’ils désirent comme thème ou comme ambiance. Ce sont le Pays, les hôtels et les particuliers qui font appel à lui, et AbuZe joue avec l’espace qu’on lui offre ; le jeune artiste prolonge l’environnement avec sa peinture. Il intervient sur des projets avec des écoles, pour des devantures, des logos, le décor de bars ou de restaurants, et jusqu’aux chambres des maisons. Parfois ce sont des objets qui ont une histoire et une valeur sentimentales pour leur propriétaire, comme cette vieille planche de surf qu’il a stylisée pour un homme qui avait perdu la mobilité de ses jambes.

Graffiti à Tahiti, Hommes de Polynésie © Photos : AbuZe
© Photos : AbuZe

Et pour le futur ?

Des projets, AbuZe n’en manque pas : il y a l’association d’artistes dans laquelle il vient d’entrer, il continue à voyager avec Ono’u, et il ne manquera pas d’enrichir ses techniques comme de continuer à balayer son regard éclairé sur le monde. Ce qui compte, c’est qu’il garde cette liberté créatrice qui lui est chère.

Le parcours de ce jeune artiste est l’exemple même que l’on peut se démarquer et réussir sans forcément être bardé de diplômes et avoir fait des écoles d’arts ou de graphisme en Métropole. Il faut avoir cette étincelle de talent, aller jusqu’au bout de ses idées, travailler, faire des projets et laisser la vie et les rencontres nous guider. Un exemple et une raison d’espérer pour les jeunes talents du fenua !

Hamani lab est un atelier mis à disposition par le ministre de la Culture. Ses locaux peuvent accueillir jusqu’à dix plasticiens et sculpteurs pour une durée de six mois renouvelables.
L’association Hamani Lab, présidée par Hell Ton John (artiste plasticien du fenua), s’occupe de la gestion de cet espace, en collaboration avec le Service de la culture. Hāmani signifie en reo tahiti « faire, construire, fabriquer ». Cet atelier héberge des artistes qui forgent l’art de Tahiti d’aujourd’hui et de demain.

« The old school way » : avant, les lieux d’actions des graffeurs s’étendaient pour beaucoup, aux murs ou  trains abandonnés le long des voies pour que tout le monde puisse voir ces peintures, œuvres illicites et risquées.

Bubble,  wild style… sont  des mots pour désigner le style des graffs répertoriés, c’est la manière dont les artistes font leurs lettres, aux formes pleines et rondes comme un ballon : bubble ou bizutées : wild style. Cliquez ici pour vous familiariser avec le vocabulaire  du graff. 

Plus d'informations

Yuna Méloche
Rédactrice web

© Photos : AbuZe

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